Catia Barreiras, Endless Dive, capture d'écran

Endless Dive : jouer et apprendre dans les abysses

Interview avec la diplômée Master Media Design Catia Barreiras

Endlesse Dive, le jeu que Catia Barreiras a développé pour son diplôme de Master en Media Design, s’éloigne des standards du jeu pour mobile à la Candy Crush en misant sur la narration et l’apprentissage plutôt que le geste addictif. Un plongeur et une océanographe s’enfoncent dans la fosse des Mariannes. Ils rencontrent les habitants de ces lieux. Le joueur ou la joueuse suit l’évolution de leur relation, tout en découvrant ce milieu sous-marin dont il ou elle peut adopter le regard subjectif. Interviewée par Alexia Mathieu, la jeune développeuse explique ses choix et son travail de recherche conséquent pour créer ce jeu à la lisière entre divertissement et éducation.

Alexia Mathieu : Peux-tu présenter ton jeu que tu as développé pour ton diplôme Master en Media Design et le public qu’il vise ?

Catia Barreiras : Endless Dive est un jeu pour mobile qui se déroule dans la fosse des Mariannes, dans l’Océan Pacifique. Il s’agit de faire une plongée jusqu’aux abysses, un monde encore peu exploré et peu connu, même par les scientifiques. C’est donc un jeu d’exploration avec une dimension pédagogique. On découvre la richesse des espèces qui peuplent l’océan, leurs comportements, leurs différentes façons de voir les choses. Il vise un public dès 16 ans. Il y a aussi une part de narration dans le jeu : on découvre et on apprend en suivant une histoire entre deux personnages qui sert de trame pendant cette plongée solitaire.

A.M. : Dans tout ton parcours, aussi bien dans le Bachelor Communication visuelle que durant le Master Media Design, tu as mêlé dans tes projets les approches ludique et éducative. Endless Dive est basé sur des faits scientifiques que tu as réunis en amont. Peux-tu expliquer les différentes étapes qui ont abouti à ce jeu ?

C.B : Le projet a débuté par une grosse partie de recherche sur la fosse des Mariannes et les abysses en général. Il s’agissait de démêler la part de mythologies des informations scientifiques strictes liées à ces milieux marins. On y trouve suffisamment d’espèces très belles sans avoir à y ajouter des monstres. Je voulais faire découvrir la variété des espèces. Par exemple, on imagine une à deux espèces de baleines ou de requins, alors qu’il en existe une multitude. Chacune d’entre elles témoigne de comportements, de façons de communiquer ou de particularités sensorielles très différentes. J’aime l’idée d’apprendre en s’amusant, c’est la raison pour laquelle j’ai créé un bestiaire dans le jeu. L’un des enjeux du développement était de trouver le bon équilibre entre ces informations scientifiques et une part d’exploration libre et de narration.

Bestiaire d’Endless Dive

 

A.M. : Un élément important à préciser, c’est que la joueuse ou le joueur entre dans la peau des espèces.

C.B. : Oui, tout au long de l’exploration, on peut scanner les animaux. Cette action débloque des informations au sujet des espèces, mais aussi la capacité de changer notre vision sous l’eau et de voir à travers les yeux d’un thon par exemple. On peut aussi émettre des sons de baleine pour en attirer d’autres. Mon objectif était de permettre aux joueur·euse·s de découvrir la vision subjective des poissons.

A.M. : La narration interactive est au cœur de ton jeu. On la retrouve dans les dialogues entre les personnages, le plongeur Frank et Sylvia l’océanographe qui l’accompagne, mais aussi dans les interactions. Tu utilises par exemple le gyroscope du téléphone pour explorer les fonds marins. Comment as-tu construit la relation entre la narration et les interactions dans ton jeu ?

C.B : Grâce au gyroscope intégré au téléphone, on peut effectivement regarder et chercher autour de soi en temps réel. Le joueur ou la joueuse est donc très impliqué dans cette recherche des poissons. La narration s’applique davantage au mouvement vertical et nous accompagne pendant toute la descente. J’ai imaginé une trame entre les personnages. Le plongeur Frank se révèle petit à petit. En tant qu’océanographe, Sylvia a une autre approche des mers. Leurs commentaires pourraient être les nôtres quand on rencontre ces animaux. Ils viennent soutenir notre apprentissage. Au fil du jeu, les deux personnages apprennent à se connaître et à se faire confiance. Je trace aussi des parallèles entre la vie de Frank et ses rencontres avec les animaux marins. Je me suis amusée à superposer nos problèmes d’humains à ces rencontres, à relativiser nos difficultés à communiquer par cette transposition du regard et de la vision du monde qui devient celle des animaux.

A.M. : Pour ton jeu, tu as réinterprété le scroll, un geste qu’on fait tout le temps, parfois même inconsciemment, sur notre téléphone. Pourquoi ce choix ?

C.B. : On passe effectivement beaucoup de temps à scroller sans réel but, ni fin. Je me suis dit qu’on pourrait mettre à profit ce mouvement pour explorer et apprendre des choses. C’est un geste qui m’a semblé naturel pour la plongée et qui est devenu la mécanique du jeu. On scroll jusqu’aux abysses.

 

A.M. : Ton jeu ne comporte pas les mécanismes qu’on rencontre dans le jeu vidéo mainstream. Il se situe à la frontière entre narration et jeu. Comment positionnes-tu Endless Dive dans le champ du jeu vidéo ? Des références t’ont-elles influencée dans le domaine ?

C.B. : J’ai été énormément inspirée par le jeu Firewatch, dont la narration intrigante nous captive tout du long, alors qu’il n’y a pas beaucoup d’actions à effectuer durant une partie. Les jeux mobiles fonctionnent habituellement sur des mécaniques plus addictives avec des gestes qu’on répète. Je trouvais intéressant de développer un jeu plus narratif. Il offre une pause dans notre vie quotidienne.

A.M. : Quelle est la suite pour ce projet ? Vas-tu le développer, l’exposer ?

C.B. : Le jeu va être exposé au Château de Prangins lors de l’exposition Games. J’ai hâte de voir comment les gens se l’approprieront. Je veux continuer à le développer, avec l’objectif de le publier. Je travaille sur d’autres projets en parallèle, j’ai plein d’idées.

Site web de Catia Barreiras: http://catiabarreiras.ch/