Texte
Fabienne Swiatly : Comment ont débuté ces ateliers ?
Hervé Laurent : J’ai proposé d’ouvrir un atelier d’écriture à l’école des Beaux-Arts de Genève il y a une dizaine d’années. Je ne suis pas écrivain mais critique d’art, pourtant j’ai toujours eu le sentiment, lorsque j’écrivais des textes critiques, d’être confronté à des problèmes qui, sans être les mêmes, n’étaient pas si différents de ceux qu’affrontent les écrivain·e·s. Et puis, et surtout, j’ai la passion des textes, et plutôt ceux des autres que les miens… ! La première année j’ai eu deux puis une étudiante. J’ai dit au directeur d’alors, Bernard Zumthor, qu’il valait mieux fermer cet atelier bien peu populaire. Il a refusé tout net, et il avait raison. Dès l’année suivante, les étudiants ont commencé à fréquenter l’atelier. Aujourd’hui, iels sont une quinzaine, qui tou·te·s, d’une manière ou d’une autre, expérimentent l’écriture. Depuis cinq ans, l’atelier a gagné en visibilité grâce aux partenariats qu’il entretient. En interne d’abord avec l’atelier d’édition et sa production de « livres d’artistes » dont beaucoup commencent à exister en atelier d’écriture. À l’extérieur de l’école, avec le Mamco (Musée d’art moderne et contemporain de Genève) qui accueille les lectures publiques des artistes et écrivain·e·s invités à intervenir dans l’atelier. Enfin avec les éditions Héros-Limite qui coéditent depuis cinq ans la collection « Courts Lettrages » consacrée à la publication de textes écrits dans l’atelier. Nous arrivons à dix titres cet automne, ce qui n’est pas rien compte tenu de la spécificité de notre situation. À ces collaborations régulières s’en ajoutent d’autres, plus ponctuelles comme, en mars dernier, la belle et riche aventure avec la Maison de la poésie transjurassienne et le Musée de l’Abbaye de Saint-Claude qui a donné lieu d’une part à des ateliers d’écriture animés par des étudiantes avec des classes du primaire et des collégiens, et d’autre part à une exposition au musée d’œuvres faisant intervenir ou issues de textes écrits par ces mêmes étudiantes. Cet automne, l’invitation de La Fureur de Lire, à laquelle tu es associée, nous permet également d’informer un public plus large des activités que nous poursuivons au sein de l’atelier. Pour résumer, je dirai que, dès le début, l’atelier s’est affirmé comme un lieu expérimental dans lequel le travail sur le texte n’était pas fixé d’avance. Il s’agissait plutôt d’étudier toutes les formes inusuelles d’écriture et de mise en situation de l’écrit explorées autant par les artistes que les écrivains et d’en proposer d’autres. À ce titre, nous intéressent tout autant des entreprises singulières, comme le Grand graphe de Hubert Lucot, que l’usage du langage dans les travaux conceptuels des années 1970, ou encore la réinvention de l’autobiographie sous forme d’autofiction par Serge Doubrovsky, et tout le parti qu’ont pu en tirer des artistes comme Sophie Calle, Valérie Mréjen et Édouard Levé. Ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, je crois, c’est l’inscription de cet atelier dans le contexte d’une école d’art. À ce titre, il n’a rien à voir avec l’atelier d’écriture qui s’est mis en place à Berne et Bienne, à l’Institut Littéraire, et qui propose un Bachelor d’écriture entièrement consacré à cette pratique alors qu’à Genève l’atelier d’écriture reste une option dans un cursus dédié aux arts visuels — que certains étudiants, après l’école, aient fait le choix d’aller plutôt vers la littérature n’y change rien. Cet ancrage nous permet de garder une liberté de manœuvre la plus grande possible quant aux rapports que nous entretenons (ou plutôt que nous essayons de construire) avec le texte, sa production, son caractère littéraire ou non, ses destinataires, les supports et les conditions de son inscription, ses modes de diffusion, etc.
F. S. : Faire écrire des étudiants, c’est les amener à la littérature ou proposer l’écriture comme outil de réflexion sur leur démarche plastique ?
H. L. : Je dirais que c’est l’un et l’autre ou peut-être bien ni l’un ni l’autre. Pardon de cette réponse qui ressemble à une esquive, le caractère très ouvert de l’atelier d’écriture que j’anime m’empêche d’être plus précis. Pour essayer malgré tout d’être moins flou, je reprendrai les termes de ta question. L’atelier n’existe pas pour « faire écrire les étudiants », viennent y travailler celles et ceux qui d’une manière ou d’une autre ont affaire avec l’écriture, la nuance est de taille, me semble-t-il. Aussi bien il peut s’agir d’occuper l’espace d’une palissade dans le contexte d’un projet d’art public que d’affiner un texte destiné à être dit en performance ou en voix off d’une vidéo. Et puis, il peut s’agir également de l’écriture d’un poème, d’une nouvelle ou de tout autre texte dont l’inscription générique n’est pas clairement définie, en tout cas à l’origine.
L’atelier d’écriture ne s’inscrit pas comme un passage obligé dans le cursus des étudiant·e·s, il constitue une option libre, ce qui explique qu’il ne développe pas un programme spécifique avec sa batterie d’exercices comme on les connaît dans beaucoup d’ateliers d’écriture dont la finalité est justement de « faire écrire ». J’ajoute que j’ai toujours nourri des doutes sérieux à l’égard de cette expression « faire écrire », comme si « écrire » était une finalité en soi et qu’il ne soit pas vraiment nécessaire de préciser quel type de résultat « écrire » devait produire. C’est tout de même bizarre parce qu’on ne fait pas la même chose quand on écrit une lettre de réclamation, une demande d’emploi, une pièce de théâtre ou une dissertation philosophique. Du coup, tu pointes une ambiguïté dans l’intitulé « atelier d’écriture » que j’ai pourtant fini par adopter. Je crois que je l’ai fait parce que je voulais garder un maximum d’ouverture et signaler que toute pratique d’écriture, pourvu qu’elle soit clairement énoncée, pouvait trouver à se développer dans le cadre de cet atelier. Cette remarque m’amène à l’autre point difficile que soulève ta question, à savoir la présence de la littérature dans l’atelier d’écriture. Au départ, lorsque j’ai créé l’atelier, il existait déjà dans l’école un atelier d’écriture théâtrale dirigé par Myriam Devos, très vivant, très actif. Je ne voulais pas faire double emploi, d’autant que ce qui m’intéressait — et m’intéresse toujours — c’était de regarder ce que les artistes ont fait à la littérature. La littérature était donc visée comme domaine dans lequel des artistes décidaient de s’impliquer sans que pour autant d’ailleurs ils y aient été spécialement préparés par leur formation ou même par leurs goûts personnels.
Avec la disparition des ateliers strictement dédiés à un médium particulier, les artistes-enseignant·e·s qui les animent et leurs étudiant·e·s sont devenus des chercheurs polyvalents qui n’hésitent pas à investir tous les champs du savoir et de la culture. La littérature ne pouvait y échapper. Aujourd’hui, s’il existe toujours dans l’école un atelier Peinture-Dessin, il n’est pas rare d’y rencontrer des étudiant·e·s qui font tout autre chose, et pas mal qui écrivent, précisément. Donc, la motivation de départ a été la suivante : puisqu’on est dans une école d’art on va commencer par regarder d’un peu plus près comment les artistes se sont impliqué·e·s dans la pratique littéraire. Les premières années, les invité·e·s de l’atelier étaient des artistes qui avaient une pratique d’écriture intégrée ou parallèle à leur travail plastique : Valérie Mréjen, Édouard Levé, Dominique Angel… Ça continue aujourd’hui puisqu’en 2009-2010 nous recevons Béatrice Cussol, Christophe Rey et Carla Demierre, qui a suivi, il y quelques années, l’atelier d’écriture… Mais on ne pouvait pas s’en tenir là : regarder du côté de la littérature à partir des écrits d’artistes seulement. J’ai donc commencé à inviter des écrivain·e·s qui faisaient le chemin inverse, qui louchaient du côté des arts visuels. Un des premiers à venir à l’école a été Jean-Pierre Ostende qui avouait qu’il s’inspirait autant, pour écrire ses romans, des pratiques des artistes contemporains que des œuvres de ses confrères. Il nous est apparu assez vite que les plus grandes similitudes existaient entre pratiques poétiques et pratiques plastiques. Dans les domaines de la poésie et de l’art contemporains on constate un même foisonnement et des procédures de recherche très semblables. Qu’on songe, par exemple, à la technique du ready-made, à la passion de la collection ou encore au mixage. Tout ceci, rapidement évoqué, pour dire qu’aujourd’hui dans l’atelier d’écriture, la littérature est présente dans la mesure où elle est devenue un terrain d’action pour pas mal d’artistes tandis que les modes de pensée propres à l’art contemporain sont présents directement ou indirectement dans beaucoup de travaux littéraires. Pratiquement, j’ajouterai que la littérature est présente de deux façons dans l’atelier. Un : tous les mardi soirs j’anime un séminaire de lecture dans lequel sont proposées des lectures critiques. Le séminaire s’organise autour d’une question — cette année nous nous demandons « Qu’est-ce qu’une écriture poétique ? » — qui est un peu un prétexte pour lire ensemble et essayer de commenter quelques textes littéraires. Deux : nous avons pris cette habitude d’inviter artistes et écrivain·e·s, qui viennent lire leurs textes au Mamco (Musée d’art moderne et contemporain de Genève), et qui rencontrent ensuite les étudiant·e·s à l’école et critiquent leur travail d’écriture ou animent des workshop d’écriture.
Dernier point soulevé par ta question : l’écriture offre-t-elle aux étudiant·e·s « un outil de réflexion sur leur démarche plastique ? » J’espère que oui, mais je dirais, pour faire court, que ce n’est pas le but principal de l’atelier d’écriture pour une bonne raison qui est que les étudiant·e·s doivent, au cours de leur cursus, produire deux mémoires dits « théoriques » l’un au niveau Bachelor (équivalent à votre DNAP), l’autre au niveau Master (soit votre DNSEP) dans lesquels ce travail de réflexion leur est demandé. Je m’occupe aussi d’un groupe d’étudiant·e·s Bachelor, mais séparément, car cette pratique écrite à finalité clairement définie et avec un cahier des charges très précis n’a pas grand-chose à voir avec l’esprit d’aventure et d’expérimentation que j’essaie de conserver dans l’atelier d’écriture.
F. S. : Comment fonctionne la collaboration avec les éditions Héros-Limite ? Est-ce important que ce soit un éditeur indépendant ?
H. L. : Oui, c’est même capital pour sortir du « cercle pédagogique » qui est un cercle vertueux à condition d’être brisé une fois qu’on en a fait le tour. Dans le cadre de l’atelier d’écriture j’essaie de faire en sorte d’accompagner le travail de recherche des étudiant·e·s en veillant à ce que ce soit bien leur projet et pas ce que j’aimerais qu’iels y mettent qu’on trouve au final. Ainsi, je me suis fait une règle de ne jamais être prescriptif — sans doute le suis-je quand même, parfois, j’en ai peur, mais le moins possible. Il m’arrive souvent de faire des suggestions, mais pas d’imposer quelque solution que ce soit sous prétexte de convenance ou de correction, j’aurais trop peur d’être normatif, de ramener en terrain connu une expérience d’écriture dont je n’aurais pas su voir la radicalité. Par exemple, on me soumet un texte qui présente une ponctuation erratique, lacunaire, fautive. Je ne vais pas corriger, mais essayer de discuter avec son auteur·trice des raisons qui l’ont amené à procéder ainsi. Nous irons chercher des exemples de ponctuation hétérodoxe en essayant d’en comprendre les enjeux. Du coup, nous ne pourrons faire l’économie d’un rappel des principes de base tels que l’école les inculque encore, etc. À aucun moment, il n’aura été question d’imposer une règle, de corriger une erreur. Il n’y a guère que l’orthographe qui fasse l’objet de corrections, in fine, lorsqu’il s’agit de présenter un texte… Et encore je fais régulièrement lire dans le séminaire des textes de Valère Novarina, de Katalin Molnár, de Jacques Sivan ou du Guyotat de Prostitution, histoire de montrer que l’orthographe, pas plus que le reste, n’est intangible, n’échappe au travail de redéploiement de la langue qu’opère l’écriture, qu’elle peut même en être la condition sine qua non. La collaboration avec un éditeur indépendant est précieuse, parce qu’elle entraîne un changement de dimension, elle permet de sortir du cadre pédagogique dont j’ai essayé brièvement d’indiquer la déontologie qui, en ce qui me concerne, doit nécessairement l’inspirer. Avec un éditeur, les relations sont radicalement différentes, ne serait-ce que parce qu’il participe à la création d’un objet littéraire sur lequel va figurer son nom (ou celui de sa maison d’édition) à côté de celui de l’auteur·trice. S’instaure donc un partenariat d’une toute autre nature que le travail poursuivi dans l’atelier où il n’est pas question de travailler dans un but aussi clairement défini que d’écrire un livre — même si ça peut être une des raisons qui poussent certain·e·s étudiant·e·s à s’y inscrire. Au risque de me répéter, l’atelier est un laboratoire, on vient y travailler le texte, mais on a très peu d’idées préconçues sur ce que sera sa forme, son support, sa taille, et même si ce sera forcément un texte. De temps en temps, il arrive qu’il résulte d’une recherche un texte dont on peut penser qu’il serait important de le donner à lire à un lectorat plus nombreux que celui constitué par les étudiants de l’atelier, quelques enseignant·e·s et les écrivain·e·s invité·e·s qui ont rencontré son auteur·trice. L’idée a donc germé qu’il fallait essayer de sortir de l’école. J’ai eu cette chance magnifique d’être appuyé dans cette démarche par le directeur de l’école, Jean-Pierre Greff, qui a accepté l’implication financière que représentait cette démarche mais a aussi tenu, par intérêt personnel, à s’y associer en participant au comité de lecture. Le choix mutuel qui s’est opéré avec Alain Berset et les éditions Héros-Limite a aussi été une véritable chance. Alain Berset poursuit, à Genève, un travail d’édition d’une grand rigueur. Il a inscrit à son catalogue des poètes contemporains difficiles mais passionnants (Bénédicte Vilgrain, David Lespiau…), parallèlement, il poursuit un travail d’archives sonores (Valère Novarina, Jacques Demierre…) et de traductions de « monuments » comme Eugen Gomringer, John Cage ou David Antin. La collection « Courts Lettrages », dont nous publions trois nouveaux titres à l’automne 2009, se devait d’être à la hauteur. Pour l’éditeur, comme pour l’école qui co-édite, il s’agit de publier des textes qui interrogent la pratique actuelle de l’écriture. En témoigne leur difficile inscription générique : roman ? nouvelle ? essai ? poème ? témoignage ? autobiographie ? cut up ?… un texte peut échapper à toutes ces étiquettes ou bien passer de l’une à l’autre. Pour en revenir à la collaboration avec un éditeur professionnel, je crois qu’il est important de marquer ce moment de rupture auquel elle conduit. Dans un premier temps, je demande à Alain de lire un texte, dont j’ai suivi le travail d’écriture dans le cadre de l’atelier, pensant qu’il pourrait être édité. S’il est intéressé, le texte circule ensuite dans le comité de lecture. Une fois la décision prise d’aller de l’avant, je ne suis plus l’interlocuteur privilégié. Un dialogue s’établit directement entre l’éditeur et l’auteur·trice dans lequel j’essaie de ne pas interférer, à moins qu’on me le demande. L’éditeur à d’autres exigences que celles que j’ai pu avoir, parce qu’il poursuit, avec l’auteur·trice, un autre but que celui que nous poursuivions dans l’atelier. Alain peut demander que soient réécrites certaines parties du texte, ce que je ne ferai jamais. À ce stade, on n’est plus dans le cercle pédagogique que j’évoquais tout à l’heure, on passe dans la dimension professionnelle de la négociation. L’éditeur adresse des demandes précises à l’auteur·trice car il ne raisonne plus dans l’absolu mais relativement à une équation complexe ; il se préoccupe de la cohérence de la collection, il doit gérer des contraintes commerciales et résoudre des problèmes techniques : format des livres, longueur du texte, mise en place sur les rayons des librairies, etc., etc., toutes préoccupations qui n’étaient pas inscrites dans le processus de recherche de l’atelier, ou alors de manière très périphérique, et qui maintenant deviennent beaucoup plus centrales. Pour les jeunes auteur·trice·s, dont nous espérons toujours qu’iels entament là une carrière qui va se poursuivre ailleurs, c’est une nécessité incontournable de se frotter à la realpolitik de l’édition.
F. S. : Y a-t-il un profil type ou des points communs entre les étudiant·e·s qui viennent à l’atelier d’écriture ?
H. L. : Beaucoup de filles ! De plus en plus, mais, sinon non, des profils très différents. On vient ici travailler les textes qu’on dira ensuite en performance, s’essayer à une écriture poétique plus personnelle, se lancer dans l’écriture d’un roman, poursuivre des expériences formelles proches des constructions oulipiennes, travailler la matière sonore du langage pour la ramener du côté de la musique, mixer des textes ready-made, construire la bande son en voix off d’une vidéo… Le point commun, c’est que, d’une manière ou d’une autre, du texte intervient dans le projet, et que ce texte fait l’objet d’une attention toute particulière, ce qui pourrait, dans un autre contexte, ne pas être forcément le cas.
F. S. : Les autres étudiant·e·s ont-iels de la curiosité pour ce qui s’y trame ou ressens-tu une coupure entre celleux qui écrivent et celleux qui n’écrivent pas (en dehors de leur mémoire) ?
H. L. : Parce qu’ils ne sont pas uniquement littéraires mais entrent dans bien d’autres catégories, les travaux ourdis dans l’atelier d’écriture sont très souvent présentés ailleurs, dans d’autres ateliers, à l’occasion de jurys, ils sont exposés, diffusés, etc., si bien que — le voudraient-iels — les autres étudiant·e·s ne peuvent pas ignorer complètement, ce que fabriquent ici leurs camarades. Du coup, il m’arrive de faire un peu l’écrivain public, c’est-à-dire que des étudiant·e·s que je n’ai jamais vus dans l’atelier viennent me demander de relire un texte qu’iels vont introduire dans une présentation, un film, afficher sur un mur… iels savent qu’il y a dans l’école un Monsieur Texte, qu’on consulte en principe à la dernière minute, quand on a un doute, et qui pourra toujours donner un conseil ou proposer une correction. Mais de là à dire que tout le monde (étudiant·e·s et enseignant·e·s) est concerné par ce qui se passe dans l’atelier d’écriture, il y a un pas que je ne franchis pas. Disons que tout le monde connaît notre existence et que c’est un peu une singularité remarquable de l’école, et revendiquée comme telle, qu’y existe un atelier d’écriture. Plus pour longtemps si on en juge par la floraison, en Suisse comme en France, d’ateliers d’écriture dans les écoles d’art. Il faudrait se demander pourquoi là plutôt que dans les universités, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons. Peut-être parce que ce qui s’y fait n’a pas grand- chose de commun avec les fameux ateliers de creative writing dans lesquels un écrivain renommé essaie d’apprendre à ses élèves à devenir, à leur tour, des écrivains renommés. Mettons de côté l’épineuse question de la renommée, la vraie différence tient à ce que, pour leur part, mes étudiants ne savent pas toujours exactement à quoi ils travaillent… bien sûr, il y a de l’écriture dans ce qu’ils font, mais cette écriture est-elle poétique, littéraire, est-elle produite pour elle-même ou non, autant de questions qui restent ouvertes, que j’essaie avec eux de maintenir ouvertes le plus longtemps possible afin qu’elles constituent le centre même de leurs investigations. Tant d’incertitudes, d’approches tâtonnantes, sont peut-être plus facilement acceptables dans une école d’art que dans une université. Du moins pour le moment.
Entretien mené le 16 septembre 2009 et publié à l’origine sur: https://remue.net/Litterature-terrain-d-action-HEAD-de-Geneve