Gboard, Google Allo, Gmail: de l’autocomplétion au système de recommandation

Converser à l’ère de l’autocomplétion

Mémoire de master de Mathilde Buénerd

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Mémoire de master de Mathilde Buénerd, 2019

 

ISSUE : D’où est venu le questionnement à l’origine de cette recherche?

Mathilde Buénerd : Au début, je m’intéressais surtout aux assistants personnels, notamment dans le cadre de l’aide à la conversation, à l’écriture et à l’interaction sociale. Je pensais par exemple à des logiciels comme Siri ou Alexa.

Puis, en 2017, j’ai effectué un stage dans une entreprise de Data Science, et j’y ai constaté que l’idée de « système de recommandation » y avait une place centrale. J’avais pour rôle d’imaginer dans un cadre de design fiction des expériences basées sur des algorithmes d’apprentissage automatique. De nombreuses questions ont émergé au cours de cette expérience professionnelle. Parmi lesquelles : quelles sont les spécificités de ce type d’expérience ? Comment explique-t-on à l’usager que les résultats sont le fruit d’une décision automatisée ? Comment explique-t-on l’importance des données dans la prise de décision ? Et dans le cadre d’un système de recommandation : comment permet-on la découverte et suscite-t-on la curiosité ?

C’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé à entendre parler de Google Allo et à voir le développement de suggestions de plus en plus invasives sur Gmail. J’ai réalisé qu’on était totalement plongé dans des systèmes de recommandation. L’autocomplétion est un domaine à la fois précis, resserré, et représentatif du sujet initial de l’assistance à l’écriture et aux relations sociales.

I : Quelle méthodologie avez-vous suivie ?

M.B. : Je suis partie du constat que l’autocomplétion s’apparentait à un système de recommandation pour l’écriture. Ensuite, j’ai analysé l’état des systèmes de recommandation, et constaté qu’ils avaient leurs propres problèmes – effet « bulle de filtre », régularisation de la langue, utilisation des données –, et opportunités. Ces spécificités impliquent une démarche particulière de design d’interaction. La question était alors: comment définir et caractériser cette démarche ?

Je me suis donnée pour objectif d’énoncer des principes, dans le champ du design, d’expérience et d’interface, pour la conception des systèmes d’autocomplétion. Mais aussi finalement à n’importe quel système de recommandation.
Derrière cet objectif, il y a l’idée que les principes traditionnels du design d’interaction sont insuffisants ou limités. D’où l’idée de faire une relecture critique de trois notions existantes: l’utilisabilité, la technologie calme et le design invisible.
Ces trois principes ont un statut différent, mais sont tous des notions ancrées dans l’histoire du design, qu’on prend pour acquis et qu’on a du mal à questionner.

À partir de là, j’ai effectué une relecture appuyée sur des projets d’artistes, commerciaux et des ressources théoriques.

I : Est-ce qu’une source théorique vous a particulièrement inspirée et comment l’avez-vous intégrée à votre mémoire?

M.B. : Davantage que les sources théoriques, c’était de partir à la recherche d’idées inconnues qui m’a le plus fascinée dans l’écriture du mémoire. Mais si je devais absolument en choisir une, je dirais What Algorithms Want : Imagination in the Age of Computing (Ed Finn), car ce livre aborde des thématiques très variées. Je l’ai intégré au travers de citations et j’ai utilisé sa bibliographie pour élargir la mienne.

: Quel prolongement cette recherche trouve-t-elle dans votre pratique actuelle ?

M.B. : Cette recherche a eu un impact durable sur ma méthodologie de conception en tant que designer d’interaction. Par exemple, je suis plus critique envers le design « centré utilisateur » et suis plus attentive aux effets collatéraux des expériences que j’imagine. Je suis également plus à l’écoute de la recherche en design en général.