Le peuple qui manque – Extension du régime potentiel
Texte
Aujourd’hui, alors que nous aurions pu vous parler d’un projet auquel nous devons cette invitation1, Les Impatients, un film-série en cours de réalisation, série qui prend la forme d’une enquête, à l’échelle-monde, sur la chronopolitique contemporaine, sur la façon dont on pense le temps au sein de différents espaces-temps, différents « chronotopes », ainsi que nous les appelons dans le film (nous avons poursuivi l’enquête à Paris, Dakar, Leipzig, etc. et d’autres saisons sont à venir), nous pensions plutôt revenir un peu en arrière et vous parler des thèses que nous développions dans un livre paru l’année dernière, Les Potentiels du Temps2, coécrit avec l’écrivain Camille de Toledo, un livre dont Les Impatients constituent en une certaine manière une suite, un livre qui, dans sa forme, embrasse des régimes d’écritures autant théoriques que poétiques, et tente d’établir, de conceptualiser ce que pourrait être le régime d’historicité à venir – convoquant ainsi ce concept de « régime d’historicité », théorisé par l’historien François Hartog, qu’il définissait comme la manière dont « une société » (avec tous les guillemets nécessaires) ordonnance son rapport entre passé, présent et futur.
Dans ce livre datant de 2003, Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps3, Hartog proposait, plus encore, une périodisation des régimes d’historicité qui se sont succédés, de l’eschatologie (ce temps du salut, avec l’éternité pour horizon), au régime moderne de la temporalité jusqu’au « présentisme » contemporain (qui est l’autre notion que François Hartog conceptualise dans ce livre, période dont il situe la charnière temporelle au moment de la Chute du Mur de Berlin, et qui se trouve caractérisée par une invasion du présent dans les royaumes du passé et du futur, et ce sentiment de déjà-vu dont parle Paolo Virno, borné par une saturation mémorielle, d’un côté, et de l’autre, la fin des horizons d’attente, une crise du futur toujours très présente aujourd’hui. Ce sentiment que le futur ne se donne plus que sous de menaçants augures, avec la crise écologique, la crise des dettes souveraines, les obsessions apocalyptiques, etc. Le futur, lieu de peurs, plutôt que lieu d’idéaux, d’émancipations collectives, de promesses tel que cela était le cas au sein du régime moderne de la temporalité – régime moderne qui, avec sa flèche du temps, était marqué par la croyance en un « progrès indéfectible », cette « épistémè du jardinier » appréhendant le monde comme objet de planification quand ce n’était pas la promesse du grand soir, cette « messianicité » dont parlait Derrida, le « messianique sans messianisme », promesse d’une émancipation collective et individuelle).
Ainsi, l’analyse par François Hartog des moments de bascule qui nous font glisser d’un ordre du temps à l’autre nous invitait à formuler dans ce livre des hypothèses sur ce que pourrait être, sur ce que devrait être le prochain régime d’historicité, à lui donner des formes, des raisons, des forces. Comment pourrions-nous échapper à cette obstruction du présent et œuvrer au régime d’historicité à venir ? Et c’est aussi ce à quoi s’emploie le film Les Impatients.
Pour autant, il ne s’agissait pas tant de discuter la validité du ou des diagnostics sur le contemporain – serions-nous encore dans ce régime présentiste identifié par Hartog, en 2003 ou serions-nous déjà dans un autre temps – dans le régime postcontemporain par exemple tel que défendu par le théoricien Armen Avanessian, qu’il définit comme un ordre du temps où le futur arrive avant le présent – advenu notamment par l’algorithmisation du monde – là où la préprogrammation de la conséquence même de l’évènement surdétermine tant le présent qu’il est possible pour lui de dire que le futur arrive avant même celui-ci4.
Selon Avanessian, il y a une dépriorisation du présent. Le futur a lieu avant le présent, le temps arrive du futur, notamment via le phénomène largement décrit de « préemption du présent » par les big datas qui prédiraient nos comportements présents à partir d’une spéculation sur le passé (l’algorithme sait quelque chose sur nous avant même que nous agissions). Les produits financiers dérivés seraient, de même, un type spécifique du futur minier, à savoir une extraction minière du futur depuis le présent.
Mais, pour séduisantes qu’elles soient, cette délinéarisation du temps et cette croyance retrouvée en de nouvelles « possibilités pour l’avenir » s’accompagnent d’une adhésion prométhéenne aux technologies qui, nous semble-t-il, n’introduit que peu d’écart avec les infrastructures, qu’il s’agirait essentiellement de tenter de faire bifurquer et reprogrammer (« repurposer »)5. Or, pour notre part, ce qui nous intéresse davantage, ce sont la puissance de subjectivation des multitudes et les formes disruptives du temps qu’elles embrassent.
Il s’agissait alors plutôt pour nous, dans les Potentiels du temps, au travers de différents registres d’écritures d’envisager un ordre temporel qui prendrait comme monde la pluralité ontologique des fictions, ou plus précisément la manière dont nous habitons les mondes fictionnels, les habitations fictionnelles, et ce non tant pour pluraliser le monde lui-même que pour faire émerger le monde à venir. De cela, nous cherchions les indices dans différentes pratiques au cœur des mondes de l’art autant que de la pensée contemporaine, et ce sont ces répertoires multiples de l’art et de la théorie que le potentiel cherche à mettre en mouvement.
Ce régime d’historicité à venir, nous le nommions, avec Camille de Toledo, le régime potentiel.
Le potentiel, non en opposition à l’actuel ou au réel, mais plutôt, à la suite d’Agamben, le potentiel comme la présence d’une absence, la persistance et paradoxale existence d’un non-encore-être, qui se conserve lui-même dans son actualisation. « Lorsque nous fermons les yeux, plutôt que de ne pas voir, nous voyons que nous ne voyons pas6. » Cette expérience de la « pure potentialité » enferme la capacité à être en relation avec notre propre incapacité. La potentialité comme mode d’existence propre, une ontologie de la puissance qui contient sa propre capacité à ne pas, à ne pas être, à ne pas faire, qu’Agamben exemplifiera avec la célèbre formule « I would prefer not to » du Bartleby de Melville, qu’il transforme en « ange du possible » qui vient sauver « ce qui n’a pas été »7.
Le régime potentiel répond ainsi à notre double aporie, pour nous qui sommes coincés entre, d’une part, les fantômes de la modernité qui hantent notre présent, vestiges d’un temps où les récits de futur pouvaient légitimement s’énoncer comme possibilités (et dont nous serions alors acculés à répéter l’héritage, réitérer les vocabulaires, la sémantique des temps, la grammaire des récits émancipateurs) et, d’autre part, le présentisme d’une postmodernité assimilée à un présent perpétuel, dont nous éprouvons tout autant de peine à nous échapper.
À rebours de ces visions, l’avenir que le régime potentiel cherche à saisir procède d’un tout autre nouage temporel. Si le futur était ce qui sera, suivant les scripts émancipateurs et les utopies passées, l’avenir dont nous parlons est tout ce qui peut arriver, tout ce qui pourrait être, tout ce qui serait8… Pour le dire avec Dipesh Chakrabarty, apprendre à penser le présent – le « maintenant » que nous habitons au moment même où nous parlons – comme irréductiblement non-un, « constamment fragmentaire »9, ainsi que Deleuze le postulait déjà dans Différence et Répétition (1968). Pour celui-ci, le futur n’est pas un futur historique, il est l’infini du maintenant. L’actuel, quant à lui, n’est pas la préfiguration utopique du futur mais le maintenant de notre devenir10. Le futur est maintenant et ce maintenant est une infinité de maintenant. Dès lors, comment envisager une politique de l’avenir depuis cette configuration temporelle ? Deleuze proposait de reprendre le concept de fabulation à Bergson et de lui donner un sens politique. La fabulation s’oppose à l’idée d’utopie – qui, dit Deleuze, « même lorsqu’elle s’oppose à l’histoire, en est toujours le sujet ou logée à l’intérieur de, comme un idéal ou une motivation ». Fabuler, suivant les mots du cinéaste Pierre Perrault, c’est une collectivité prise, dans son action, en flagrant délit de légender. Une parole en acte et un acte de parole qui participent à la constitution d’un peuple, d’un peuple à venir, d’un peuple qui fait défaut, pour Paul Klee, à l’avènement d’une communauté émancipée et, pour Deleuze, « un peuple mineur, éternellement mineur, pris dans un devenir révolutionnaire11».
Cette inspiration bergsonienne de la pensée politique de Deleuze n’envisage pas de différence entre le possible comme projet et sa réalisation. Le possible ne consiste pas ici à élaborer d’abord un plan, qui serait encore une utopie ou un « monde possible » de la fiction.
Le régime potentiel nous prémunit ainsi des sirènes tentatrices d’un retour aux visions planificatrices de la modernité.
C’est ainsi qu’ainsi que nous l’esquissions plus haut, le régime potentiel que nous défendons se distancie de certaines des tendances progressistes des vagues récentes de l’accélérationnisme12, l’un des discours majeurs et parmi les plus singuliers aujourd’hui à tenter de penser une chronopolitique contemporaine. Son aspiration à retrouver des visions de futur pour imaginer un monde postcapitaliste a conduit l’accélérationnisme à invoquer l’accélération des tendances du capitalisme13 et du progrès technologique, qui renouent avec le communisme accélérationniste des soviets, son « taylorisme prolétarien » et son imaginaire de vitesse, autant qu’avec celui du futurisme, plaçant la machine au centre de son édifice politique et intellectuel14, et surtout, de nouveau, de la modernité comme idéal, au travers de visions planifiées et centralisées, une conception linéaire et progressiste du temps, d’une vision téléologique de l’Histoire – comme autant des scripts à conduire, de scénarios à réaliser et de « mondes possibles » à actualiser.
Une expérience réelle impliquerait, au contraire, l’affirmation d’un rapport radical à ce qu’on ne pense pas encore, à ce qui ne pourra pas s’écrire encore.
C’est en ce sens que nous considérons les dispositifs à l’échelle 1:1 produits depuis l’espace de l’art, la récente Assemblée Générale de Milo Rau, les divers projets d’assemblées de Jonas Staal, qui existent, comme il le dit, dans l’in-between des démocraties réelles, le preenactment de la COP21 de Bruno Latour et Frédérique Ait-Touati, le procès fictif de Jean-Stéphane Bron après la crise des subprimes, etc. comme des formes de fabulation deleuzienne et des expériences de pensée à l’échelle 1:1.
Puisque nous disposons aujourd’hui d’un temps très limité, nous voulions exposer un seul exemple que peut-être certains d’entre vous connaissent déjà, mais qui a été finalement assez peu discuté au sein du monde de l’art lui-même (notamment puisqu’il s’agissait d’abord d’une proposition émanant depuis le théâtre).
En mai 2015, au théâtre des Amandiers, à Nanterre, Bruno Latour, Frédérique Aït-Touati et Sciences Po proposaient un pre-enactment de la COP 21, huit mois avant que ne se déroule la Conférence des parties de Paris de 2015 sur le climat. Cette reconstitution de l’événement avant-même l’événement lui-même, à rebours des reenactments qui ont souvent été d’usage ces dernières années autant dans le monde de l’art que dans les grandes universités où le reenactement est devenu une technique largement diffusée pour former à l’exercice du pouvoir et à la prise de décision, ne reposant alors plus sur une remise en marche des corps et des mémoires comme chez Jeremy Deller15 et cette « histoire parallèle16 » des vaincus, mais sur de simples exercices de reproduction sociale et politique, reproduction du travail des pairs, reconduction du même, à l’infini. Make it Work – Le théâtre des négociations aura ainsi réuni deux cents étudiants divisés en quarante délégations17 qui auront tenté d’anticiper ce qui apparaissait alors comme l’échec programmé de cette 21e Conférence des parties18 autant que de trouver une modalité de représentation « alternative » à celle qui se donne sous la forme d’une addition de nations, qui se trouvent parfaitement inadaptées (on retrouve ici le statement de Bruno Latour), en tant qu’entités représentatives, quand il s’agit de considérer, par exemple, le sort des océans ou des migrants. Durant Make it Work, ce ne sont plus les États seuls mais les villes, les océans, les sols qui s’invitent, comme sujets politiques, à la table des négociations, prolongeant en cela les réflexions passées de Latour sur l’institution d’un parlement des choses, fait de collectifs hybrides, humains et non-humains. Cette simulation fut suivie de très près par des acteurs de la véritable COP 21, telle Laurence Tubiana dont le rôle a été de représenter la France fin 2015.
L’expérimentation collective proposée par Latour forge la capacité à anticiper l’impensé, l’impensable d’un événement dont la défaite avait été annoncée. Ni contamination, ni effraction, ni disparition, ni esthétisation de l’art dans la politique (qui sont différentes stratégies récurrentes pour penser habituellement les liens entre art et politique), l’enjeu est ici à la fois plus modeste – respecter les règles du jeu – et beaucoup plus ambitieux – devancer les experts, produire des solutions plausibles tout en laissant courir les possibles. Le pre-enactment n’est ici ni une scénarisation oppressive du futur, telle qu’envisagée par les programmes de gauche planificateurs, ni une ouverture absolue aux possibles. Il répond à un modeste niveau à notre situation temporelle : comment déjouer les échecs programmés du futur ? Nous pourrions en effet postuler que les scénarios de défaites à venir scellent notre impuissance et notre mélancolie. Les défaites annoncées agissent sur nos imaginaires de manière si déterminée qu’elles sont des futurs déjà-là, du présent autant que du futur. Dès lors, quelle prise avons-nous sur les futurs déjà-là ? Comment agir sur les défaites prophétisées ? Le pre-enactement tend vers une forme de fabulation deleuzienne orientée vers le futur.
C’est ainsi que nous essayons de lier et de diagnostiquer comme un seul et même mouvement les chronopolitiques contemporaines avec ce qui a pu se jouer au sein du monde de l’art ces quinze dernières années, où comment relier la très abondante littérature sur « l’artiste comme historien » (qui inclurait le tournant archivistique de l’art), de Walid Raad à Jeremy Deller, là où le reenactement, serait le dispositif le plus discuté, unanimement analysé comme évènement produit sur les ruines d’un évènement antérieur et geste historiographique produit depuis la mémoire des corps, là où les participants se voient si profondément affectés, que c’est la physicalité de la fiction qui vient produire l’évidence de l’évènement19.
Car c’est bien ce qui nous intéresse dans ces projets, c’est leur manière de conserver toujours une dimension fictionnelle, de ne jamais revendiquer totalement leur statut de réalité, cette capacité à se tenir dans ce que Brian MacHale nomme encore et autrement la « zone20 », dans ce jeu constant d’abaissement et de rehaussement des niveaux de fictionnalité.
La puissance de ces projets que nous évoquons dans ce livre (Yael Bartana, Jonas Staal, Jean-Stéphane Bron, Milo Rau, Bruno Latour & Frédérique Ait-Touati)21 est, précisément, l’indécidabilité de leur statut ontologique, et que l’on ne sache plus bien ce qui a lieu (ou pas). Car à quoi sert-il de conserver délibérément cette ambivalence fictionnelle, à rebours de la stratégie la plus communément admise de l’héritage de l’art conceptuel qui consiste à sortir de l’art, suivant une certaine tradition de désactivation de la fonction esthétique de l’art22, d’invisibilisation, d’abaissement de son coefficient de visibilité artistique23, pour mieux retourner à l’action politique. Il nous semble en fait que c’est justement parce que cette ambiguïté permet de suspendre à tout moment le cours des événements « comme fiction », comme superposition de ce qui a lieu et de ce qui aurait pu avoir lieu. La manifestation d’un futur antérieur à lui-même. Une sorte de temps quantique, temps superposés, à la fois possible et actuel, qui peut retrouver à chaque instant son caractère de possibilité, d’expérimentation des possibles, tout comme il peut continuer à s’inscrire dans le cours historique des enchaînements causaux actuels.
Pouvoir faire, défaire, refaire. En histoire, un événement historique a lieu. Dans les fictions spéculatives dont nous parlons, l’événement a lieu, comme il reste, aussi, une fiction potentielle et inversement. Il est alors possible de corriger, de bifurquer et de revenir en arrière – dispositifs qui se créent en même temps qu’ils se jouent. La fiction nous autorise.
Car c’est le premier préalable que nous aurions dû établir. La peur a changé de camp. Elle n’est plus une prérogative de la bourgeoisie, ou des classes moyennes, qui auraient peur de perdre leurs privilèges, mais la peur innerve désormais les mouvements révolutionnaires et plus largement la pensée de gauche. Une forme de sidération contemporaine bornée à la fois par une peur du passé, face à tous ces échecs, ces enfants-terribles nés des mouvements révolutionnaires et des politiques qui ont tenté d’être un tantinet radicales. Et peur du futur – nous sentons bien que nous n’avons plus de seconde chance, contrairement aux révolutions passées, où l’on pouvait encore se dire ce sont des tentatives, et puis, si cela échoue, ce n’est pas grave, il y en aura d’autres. Il n’y a plus de deuxième chance car il n’y a pas de planète B. Nous sommes comme paralysés, sidérés par ce double bind.
La fiction est à ce titre, encore ce qui nous autorise, le lieu d’une adhérence au monde plus fragile, plus protégée sans doute aussi.
C’est ainsi que nous voyons, dans ces dispositifs chronopolitiques réalisés depuis l’espace de l’art, une invitation à étendre ce régime de l’art à l’ensemble de la société, à l’ensemble des sphères sociales et politiques. À la manière de la carte à l’échelle 1:1 de Lewis Carroll, de Jorge Luis Borges ou d’Umberto Eco24, la carte doit s’étendre, tel un double du monde, jusqu’à se confondre avec lui. En l’occurrence, notre carte est ici l’espace de l’art. Il ne s’agit alors plus de dissoudre l’art dans la vie, mais bien d’étendre à l’infini, à toutes les sphères de la société, les puissances de ce double statut ontologique de l’espace de l’art (que l’on entend souvent dans la théorie de l’art comme superposition de « pratiques pour ce qu’elles sont et proposition de ce qu’elles sont »), mais qu’ici, nous aimerions entendre autrement, en tant que superposition de l’actuel et du potentiel.
Une fois notre carte entièrement dépliée, le régime potentiel sera là.
Aliocha Imhoff & Kantuta Quirós, 14 décembre 2017
Trailer vidéo du livre Les Potentiels du temps
Notes
- Merci à la HEAD (Jean-Pierre Greff, Charlotte Laubard, Delphine Jeanneret), et l’ensemble des équipes de la HEAD pour leur invitation.
- Aliocha Imhoff, Kantuta Quirós, Camille de Toledo, Les potentiels du temps, Paris: Manuella Editions, 2016.
- François Hartog. Régimes d’historicité. Présentisme et expérience du temps, Paris : Le Seuil, 2003.
- (éds) Armen Avanessian, Suhail Malik, The Speculative Time-Complex, Post-Contemporary Issue, Contributions de Benjamin Bratton, Elena Esposito, Victoria Ivanova, Laboria Cuboniks, Aihwa Ong, David Roden, Nick Srnicek & Alex Williams, Berlin: Merve, 2016.
- Le philosophe Maurizio Lazzarato dirait que les seuls possibles que ces visions prennent en compte sont ceux qui existent déjà, les possibles déjà inscrits dans l’actuelle organisation du travail, de la science, de la technologie. Selon lui, elles ne connaissent d’autre réalité et d’autre politique que celle de l’actuel. Les « abstractives tendancies » ne contiennent que les possibles connus. Il suffirait d’accomplir les promesses qui sont déjà contenues dans le travail, la science et la technologie. Pour réaliser ces promesses, ni « protest », ni « disrupt », ni « critique », aucune rupture de la temporalité, mais des sages projets d’ingénierie sociale. L’ingénierie sociale de l’accélération est l’exacte opposé d’un processus de rupture. Voir sa communication « 15 thèses sur les guerres civiles modernes en 15 minutes. Une thèse la minute », à l’occasion de notre « gouvernement des temps », à Leipzig, le 28 mai 2016.
- Giorgio Agamben, La Puissance de la pensée, Paris: Rivages, 2006.
- Giorgio Agamben, Bartleby ou la création, Belval: Circé, 1995. Voir également Gisèle Berkman, L’Effet Bartleby, Paris: Hermann, 2011, p. 162.
- « [L’avenir] n’est rien d’autre que la condition de toute promesse ou de tout espoir, de toute attente, de toute performativité, de toute ouverture vers le futur. » Jacques Derrida, Mal d’archive. Une impression freudienne (1995), Paris: Galilée, 2008, p. 68.
- Dipesh Chakrabarty, Provincialiser l’Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, Paris: éditions Amsterdam, 2009.
- Gilles Deleuze, « Foucault, historien du présent », in Magazine littéraire, n° 257, septembre 1988.
- Gilles Deleuze, Critique et clinique, Paris: Éditions de Minuit, 1993, p. 14.
- L’accélérationisme prône que la seule façon de sortir du capitalisme est de le dépasser en en exacerbant les tendances. Afin de surmonter le capitalisme néolibéral mondialisé, nous aurions besoin de le vider jusqu’à la lie, le pousser à son point le plus extrême, le suivre dans ses plus lointaines conséquences (l’automation complète en est une, que prônent les deux auteurs du Manifeste accélérationniste, op. cit., Alex Williams et Nick Srnicek, hérauts de cette résurgence récente, que l’on pourrait qualifier de troisième vague, de l’accélérationnisme). En français, voir le « Manifeste pour une politique accélérationniste », traduit en français par Yves Citton, Multitudes, no 56, 2014. Voir également, le numéro 56 de Multitudes dédié aux politiques accélérationnistes et le « procès » du Manifeste accélérationniste que nous avons mis en scène avec la revue Multitudes au Centre Pompidou – BPI, et en compagnie des deux auteurs du Manifeste, Alex Williams et Nick Srnicek, Yann Moulier-Boutang, Sophie Wahnich, Yves Citton, Nicolas Vieillescazes.
- Réactivant l’héritage de Deleuze et Guattari pour qui c’est en radicalisant les forces de « déterritorialisation » du capitalisme lui-même de manière à l’exacerber que l’on pourrait parvenir à son point d’effondrement. Si le capitalisme doit « périr», affirmait encore Lyotard en 1972, il ne le fera pas par « mauvaise conscience », mais seulement « par excès », parce que ses énergies déplacent continuellement ses limites.
- Même si cette vision planificatrice tend aujourd’hui à être réinterrogée et amendée dans les textes accélérationnistes les plus récents : voir, à ce sujet, la conférence de Nick Srnicek, Postcapitalist Futures, 20 mars 2015, lors du colloque « Thinking Together. The Politics of Time », curaté par Berno Odo Polzer à Haus der Berliner Festspiele / Kassenhalle, Berlin, dans lequel il défendait, pour penser cette futurité postcapitaliste, une configuration temporelle prenant modèle sur la navigation Micronésique (une navigation qui repose sur l’absence de vision transcendante de ce que la navigation sera, sans perspective surplombante du point de départ, du point d’arrivée, et de la trajectoire entre, ni système de coordonnées absolu. Selon cette métaphore navigationnelle, il s’agirait d’un progrès contextuel, immanent, flexible, déterminé au cours du voyage). Nous remercions chaleureusement Nick Srnicek d’avoir partagé avec nous ce texte encore inédit.
- The Battle of Orgreave (2001), reenactement par l’artiste anglais Jeremy Deller de l’historique bataille des mineurs d’Orgreave, dans le Yorkshire, avec la police au cœur de la contestation des politiques ultralibérales de Margareth Thatcher en 1984. Ce reenactment par Deller est considérée comme une pièce majeure de ce début de 21ème siècle, paradigmatique de l’érection de la figure de l’artiste en historien, et du tournant archivistique de l’art.
- Paul Ricœur, « Memory and Forgetting », in Richard Kearney et Mark Dooley (dir.), Questioning Ethics : Contemporary Debates in Continental Philosophy, Londres, Routledge, 1999, p. 5‑11.
- Principalement d’écoles parisiennes mais aussi d’universités internationales telles que la Columbia, ULB, Tsing Hua…
- Échec qui s’est en fait avéré relatif, puisque pour la première fois après vingt COP, les parties sont finalement arrivées à un accord le samedi 12 décembre 2015, où les 195 États sont parvenus à s’entendre sur la nécessité d’un effort, certes différencié, mais commun, dans la lutte contre le changement climatique. Un accord qui donne une orientation, mais n’apporte pas de réelles précisions sur les moyens développés et les méthodologies de contrôle de respect des objectifs.
- Là encore, The Battle of Orgreave de Jeremy Deller en est l’exemple le plus paradigmatique. Voir op.cit.
- Selon Brian MacHale, Postmodernist Fictions (Londres: Routledge, 1987)
- Nous discutons notamment du projet de Yael Bartana, le JRMiP (Jewish Renaissance Movement in Poland) et de son premier Congrès à la Biennale de Berlin en 2012, du film de Jean-Stéphane Bron, Cleveland contre Wall Street (2010) ou encore Les procès de Moscou de Milo Rau et de l’International Institute of Political Murder en 2013 à Moscou. Parmi ces dispositifs à l’échelle 1 :1, nous pourrions également évoquer les assemblées de Jonas Staal (le Parlement alternatif du New World Summit – à Sophiensaele, à la 7ème Biennale de Berlin, 2012, par exemple, ou plus récemment, la New World Embassy: Rojava, 2016).
- Stephen Wright, « Désactiver la fonction esthétique de la collection », in Une république de l’art, Eindhoven: Van Abbemuseum/Platform, 2015.
- C’est Duchamp qui avait proposé cette notion de coefficient d’art : le taux proprement artistique d’une proposition, cette variable indéterminée (comme le « x » d’une équation mathématique) qui distingue l’œuvre d’un objet naturel ou usuel. Wright parle alors, quant à lui, de « faible coefficient de visibilité artistique » pour caractériser des pratiques dont la visibilité artistique est délibérément affaiblie par les artistes eux-mêmes, qui souhaitent ainsi lui restituer une meilleure efficience politique.
- Le paradoxe d’une carte du monde à l’échelle 1:1 est qu’elle recouvrirait entièrement le monde, jusqu’à se confondre avec lui, selon Jorge Luis Borges, (Buenos Aires, 1946) (« De la rigueur de la science », in L’Auteur et autres textes, Paris: Gallimard, 3e éd., 1982, p. 199.) Voir aussi Umberto Eco, « De l’impossibilité d’établir une carte de l’Empire à l’échelle du 1/1 », in Pastiches et postiches, Paris: Messidor, 1988, p. 95-104.
- Le Collectif Essai est composé de Lisa Bergmann, Giulia Bruno, Klemens Czurda, Victor Fancelli, Florian Haag, Alper Kazokoglu, Armin Linke, Charles Mallison, Kerstin Möller.