ISSUE #14 – À qui donne-t-on la parole?

Cinéma, représentations et représentativité

Alors que le mouvement #metoo continue de faire des vagues dans le milieu du cinéma et au-delà, que les manifestations Black Lives Matter mobilisent toute une génération et que de nombreux comptes sur les réseaux sociaux relatent des histoires de tournages affublé de #balancetonporc, le séminaire « À qui donne-t-on la parole ? » voit le jour au Département cinéma sous l’impulsion d’Alice Riva (assistante pédagogique et programmatrice à Visions du Réel), Nicolas Wadimoff (responsable du département cinéma et réalisateur) et Delphine Jeanneret (responsable adjointe du département cinéma et programmatrice au Locarno Film Festival). Ce séminaire propose des rencontres avec des cinéastes et penseur·eusexs portant des voix critiques et questionnant les enjeux de représentation, de représentativité et la construction de nos imaginaires. En parallèle, des lectures de textes fondamentaux de ces courants, des visionnements de films, des écoutes de podcasts et des discussions visent à transmettre et débattre des concepts théoriques de la pensée décoloniale, féministe et queer, afin d’aborder de manière critique la lecture de films.

Ce séminaire expérimental commence en mars 2021 avec la lecture du texte de la réalisatrice, universitaire et afroféministe Amandine Gay “La réappropriation des moyens de production au service d’une esthétique autonome” issu de l’ouvrage collectif Décolonisons les arts! sous la direction de Leïla Cukierman, Gerty Dambury et Françoise Vergès (L’Arche, 2018). Ensemble, nous lisons avec les étudiantxes – chacun·ex lit un ou deux paragraphes – ce texte qui frappe par ses mots bruts et clairs, nous rassemble autour des questions : Comment donner la parole à des personnes minoritaires ? Comment les représenter à l’écran ? Comment nommer pour faire exister ? La semaine suivante, Amandine Gay nous parle de son travail, de la réappropriation de la narration et des moyens de production d’un film comme un acte d’émancipation. Sa parole si directe et précise nous transperce et nous ébranle dans nos convictions.

Au fil des semaines et des années, d’autres paroles viendront s’ajouter à celle-ci pour créer une polyphonie décoloniale, féministe et queer. Alexe Poukine vient présenter son premier long métrage Sans frapper (Prix du jury à Visions du réel en 2019), dans lequel elle aborde la thématique du viol, ainsi que le trouble de stress post-traumatique qui en découle. Nous réfléchissons ensemble comment représenter l’innommable. Noémi Michel, universitaire et militante afro-féministe travaille sur la place des minorités en démocratie. En petits groupes et avec les étudiantxes, elle crée des situations afin de réfléchir aux mots qu’on utilise tous les jours pour se décrire. Avec Clara Schulmann, autrice et docteure en études cinématographiques, les étudiantxes à lire Zizanies (Paraguay Press, 2020) restituent les chapitres de son livre divisés en humeurs. Elle les écoute raconter leurs histoires et à travers son texte les étudiantxes dévoilent leurs fragilités pour mieux les comprendre.

L’éditeur, écrivain et curateur Greg de Cuir Jr, curateur de la rétrospective Black Light au Locarno Film Festival, parle de la place des représentations de personnes racisées dans le cinéma expérimental et de son travail qui visibilise des cinéastes peu connu·e·x·s. Iris Brey, journaliste, autrice et critique de cinéma partage ses recherches sur Le regard féminin, une révolution à l’écran (Éditions de l’Olivier, 2020). Elle partage ses questions sur le regard dominant des hommes au cinéma et permet de prendre la mesure de l’invisibilité des femmes dans l’histoire du cinéma. Nous en prenons la mesure et terminons le séminaire avec l’envie de changer le milieu du cinéma. Naëlle Dariya et river parlent des représentations des personnes trans à l’écran et déconstruisent les clichés portés au cinéma. Iels s’attachent à faire vivre des cultures minorisées, des personnages et des corps souvent invisibilisés au cinéma. La journaliste et chroniqueuse judiciaire Yamina Zoutat propose d’analyser les prises de parole au Palais de Justice de Paris et mettre en lumière les mécanismes de pouvoir à l’œuvre dans de tels espaces où la parole est la principale source de défense. La réalisatrice géorgienne Elene Naveriani, diplômée du Département cinéma en 2014, porte à l’écran un cinéma féministe, inclusif et antiraciste. Nous parlons des problématiques de représentations de communautés inexistantes dans certains pays dont la Géorgie. Enfin, la réalisatrice Callisto McNulty revient sur l’œuvre militante de Carole Roussopoulos, sa grand-mère, à travers son film Delphine et Carole, insoumuses (2019). Elle parle du « féminisme enchanté » des années 1970, des premières femmes réalisatrices militantes et de son regard féministe historique et contemporain à la fois.

Le séminaire « À qui donne-t-on la parole ? » a permis de mettre des mots sur des problématiques urgentes, parfois brûlantes, à travers une pédagogie participative où les étudiantxes co-construisent le débat avec les invité·exs et les enseignant·es. Ce focus propose un bref aperçu de cette polyphonie, en restituant sous la forme d’entretiens, la voix et le projet de quelques intervenant·exs du séminaire.

Delphine Jeanneret

Photo de couverture : Image du film Ouvrir la voix d‘Amandine Gay (France, 2017, 122’), intervenante du cours « À qui donne-t-on la parole ? »

Les voix de la transmission

Transition du regard

Les voix tues du film de la justice