Inclusive typography

An interview with graphic designer Tristan Bartolini

For his Bachelor’s Degree in Visual Communication, Tristan Bartolini developed a new system of typographic characters which transcends gender binarism in the French language. Bartolini redesigned characters from an existing font, Laurenz Brunner’s Akkurat, so as to make some of the letters interlock. While they remain readable, the gendered endings of the words escape the dichotomy of gender, or the precedence of one gender over the other. The words’ fluidity stretches between the feminine and masculine poles. Both poetical and political, Bartolini’s project was awarded the Red Cross’ Prix Art et Humanité 2020. Nayansaku Mufwankolo, an assistant at the CCC research Master’s Programme, sat down with Bartolini to discuss the political and technical issues at the heart of his project.

 

Lettre aux étudiant·x·e·s envoyée par la Direction de la HEAD – Genève réécrite par Tristan Bartolini de manière inclusive.

 

Nayansaku Mufwankolo : Puis-je te demander de te définir, pour celleux qui ne te connaîtraient pas ?

Tristan Bartolini : Il y a une année, alors que ce projet n’existait pas encore, j’aurais répondu « je suis un garçon cisgenre ». Aujourd’hui, je ne répondrais plus de la même façon. J’ai entamé une réflexion là-dessus. La réponse reste ouverte.

N.M. : De quelle manière s’est manifesté ton intérêt pour la création de nouvelles formes typographiques ?

T.B. : Je fais de la communication visuelle. Au sein de ma discipline, je m’intéresse particulièrement à la typographie et à son lien avec la sémiologie. En tant que graphiste, la typographie me permet de jouer avec la sémiologie et, par conséquent, avec le langage. J’en ai pris conscience au fil de divers projets lors de mon cursus à la HEAD. Par le biais d’expérimentations, je suis intervenu sur la forme, et par la-même sur le fond, des lettres. C’est un travail sur la communication que j’ai voulu développer dans mon projet de diplôme pour servir une cause qui m’intéressait.

N.M. : Comment a émergé le questionnement à l’origine de l’inclusivité ?

T.B. : Il y avait cette évidence pour moi que le langage inclusif implique d’inclure tout, tout le monde. Au départ, mes professeur·e·x·s ont voulu me diriger vers une féminisation de la langue alors que mon idée était de la modifier, non seulement pour mieux y représenter la femme, mais surtout pour décortiquer le genre. En travaillant sur la typographie on peut casser la binarité masculin/féminin du français. On peut se montrer véritablement inclusif, dans le sens auquel je l’entends.

N.M. : En effet, la langue française est intrinsèquement binaire et mutuellement exclusive. Comme toutes les langues, elle produit des fictions qui ont un pouvoir performatif sur le réel. Ces catégories qu’elle crée nous enferme. Pour résister à ce processus de naturalisation, d’intériorisation et de répétition, il faut créer des nouveaux systèmes de signes et mettre des stratégies en place. Quelle méthodologie as-tu suivi pour arriver à cette hybridation complète de la langue dans ton projet ?

T.B. : Dans mon Bachelor Thesis, qui a précédé le projet et en formait le pendant théorique, j’en étais venu à la conclusion que le féminin et le masculin ne sont que les deux extrêmes d’un spectre sur lequel les possibilités de se définir sont illimitées. Tel est le principe que j’ai voulu traduire graphiquement.

Instinctivement, je me suis dit que ces deux pôles devaient être présents dans les signes. J’ai voulu qu’ils soient liés graphiquement, mais de manière incomplète. Par exemple, le signe à la fin de « inclusif·ve» montre une fraction du « f » et du « ve ». Les trois lettres sont présentes et identifiables dans un même signe.

La méthode a consisté en des jours et des jours de recherches graphiques. J’ai aussi systématiquement fait tester mes signes. Je les envoyais à mes ami·e·x·s, contextualisés dans des mots. Je leur demandais ce qu’il·elle·x·s lisaient à travers cette phrase, toujours la même : « Sasha est joli·e », et si Sasha était une fille ou un garçon. Le signe que je testais venait à la fin de « joli·e ». Je ne laissais pas la possibilité de répondre « Sasha est non-binaire ». Mon but étant que les gens ne puissent plus se prononcer, qu’il·elle·x·s finissent par dire : « Je ne sais pas, c’est les deux. Ce n’est pas important ». La méthodologie pour définir ma systématique a donc été de piéger mes lecteurices.

La complexité de la langue française implique que certains signes ont été extrêmement difficiles à réaliser. J’estime d’ailleurs n’avoir toujours pas trouvé la solution idéale pour certains d’entre eux, comme celui à la fin de « acteur/actrices ». À partir d’autres, plus simples, comme « étudiant/étudiante », j’ai défini une systématique graphique basée sur la superposition.

N.M. : À propos de ces mots, on voit de plus en plus de solutions émerger, comme « acteurice » justement, qui permet de pallier cette difficulté dans la langue et éviter la création d’un nouveau système de signes. Il y a la question du fameux « x » aussi… Comment as-tu inclu la question de la non-binarité, des personnes qui ne se définissent pas sur ce spectre ?

T.B. : Bien sûr, je me suis demandé s’il ne fallait pas tout neutraliser, tout rendre possible, mais il a fallu se plier aux exigences de l’école. Ce projet a été construit à partir des contraintes du cadre dans lequel il a été réalisé. La langue aussi met ses contraintes. Il y a une frustration forcément : je me suis demandé si j’étais si inclusif que ça avec mes signes. Peut-être ne sont-ils qu’une étape préliminaire, que la vraie solution viendra après un processus de déconstruction. Dans le cadre de mon Bachelor, je ne pouvais pas me permettre d’inventer des lettres, de faire un travail qui ne serait pas lisible.

Ce projet n’est pas terminé. L’écriture inclusive a été créée avec les moyens que la langue met à disposition, par exemple la ponctuation. Je propose de créer d’autres signes. Je ne prétends pas avoir une solution toute faite. Je pense qu’il y a encore beaucoup de questions à se poser.

N.M. : Est-ce que ce projet est le seul dans son genre, ou s’ajoute-t-il à d’autres propositions déjà existantes ?

T.B. : Non, beaucoup de graphistes ont déjà abordé cette question. Le collectif franco-belge bye-bye binary travaille par exemple sur ces questions depuis plusieurs années. Certains de leurs projets contrairement au mien sont déjà accessibles et exploitables. La police Cirrus Cumulus de Clara Sambot est également un projet remarquable qui propose des glyphes inclusifs graphiquement très forts.
C’est dommage que la presse soit passée à coté de leurs travaux, les médias ainsi transmettent un message à côté du propos : puisque, encore une fois, on met en avant le travail d’un homme…
En plus mon projet, et cela a été très mal communiqué, n’est pas disponible car je me suis inséré dans l’Akkurat Regular, police sur laquelle je n’ai aucun droit.

Exemple de formes d’écritures inclusives développée publiées sur son compte Instagram par la graphiste basée à Bruxelles Loraine Furter.

 

N.M. : As-tu pensé à proposer ton projet à la HEAD et à d’autres institutions, pour qu’elles l’utilisent dans leur communication ? Ce serait un moyen de diffusion qui permettrait d’aplanir ces différences.

T.B. : Après la remise du Prix de la Croix-Rouge, le directeur de la HEAD Jean-Pierre Greff m’a proposé de collaborer sur un document, encore hypothétique à ce stade je crois.

N.M. : Ton projet tombe à pic en tout cas, car nous vivons une époque marquée par les divisions et les frictions, notamment entre les différentes générations. D’où la question de sa diffusion.

T.B. : J’y réfléchis, mais il s’agit avant tout d’un outil de communication et non d’un projet commercial. Je n’ai donc pas envie de le « vendre ». Le Prix de la Croix-Rouge a amené une certaine visibilité. Je me pose encore des questions sur qui aborder, et comment, même si, potentiellement, beaucoup d’écoles et d’institutions peuvent être intéressées. Enfin, il reste de nombreuses modifications et corrections à apporter. Le projet peut évoluer dans diverses directions, je suis ouvert à tout ce qui peut se présenter. Ce n’est que le début.