Johannes & Alan

A workshop of algortihmic typography

The designers Demian Conrad and Alex Dujet co-organised a workshop in technology-aided typography. The aim of the workshop was to use the synergies between the analogue and the digital in the production of lettering for prints which fell within the field of concrete poetry. It was a matter of determining, on the one hand, how a composition made with an algorithm can influence the layout of a manual composition and, on the other, how manual metal typesetting changes coding in graphic design. Here’s a report on these experiences.

Baptisé « Joannes & Alan » en hommage à l’inventeur de l’imprimerie Joannes Guttenberg et au pionnier de l’informatique Alan Turing, ce workshop de typographie co-organisé par Demian Conrad, fondateur de l’atelier Automatico Studio et Alex Dujet, du bureau de graphisme et de recherche Futur Neue, s’est déroulé en deux lieux distincts. Il a bénéficié des ressources d’un laboratoire d’impression algorithmique sur imprimantes jet d’encre HP DesignJet 500 hébergé par le Center for Future Publishing. En parallèle, Alex Dujet a piloté le laboratoire d’impression au plomb sur une presse FAG Swiss Proof. Les étudiant·e·x·s avaient pour mission de produire deux impressions de format 50 x 70 cm, en utilisant seulement la couleur noir. Ce choix restrictif leur a permis de se concentrer sur la dialectique de l’analogique et du numérique.

La poésie concrète est une discipline de poésie expérimentale qui ne fait appel ni à la syntaxe ni au rythme mais considère le poème comme un objet sensible indépendamment du sens1. Les étudiant·e·x·s se sont penchés sur l’histoire du mouvement et de ses principaux protagonistes: de la modularité des poèmes de Carl Andre, aux jeux visuels d’Augusto de Campos, aux sonorités typographiques de Henri Chopin, à l’approche allemande essentielle d’Eugen Gomringer, jusqu’au pré-conceptualisme de Maurizio Nannucci, qui a créé la salle du Mamco dédiée à ce mouvement. À partir de ces précédents historiques, les étudiant·e·x·s ont élaboré une synthèse typographique inspirée de l’artiste sélectionné durant leur recherches.

À l’atelier plomb les étudiant·e·x·s ont expérimenté le travail manuel et la composition à échelle 1:1. Un processus long et méticuleux qui les a obligé à réfléchir en amont aux choix graphiques, afin de trouver une stratégie correcte. Le travail tactique sur la typographie permet au designer une relation tangible à l’espace.

Les assistants Charles Chalas et David Héritier ont codé et développé une série de scripts sur mesure adaptés aux besoins des étudiant·e·x·s. Des scripts en Python, sur Drawbot, ont permis l’exploration rapide des potentiels de compositions automatisées et gérées par variables. Pour un travail de fond sur la matière littéraire, des codes Java Script en ligne ont permis de remanier le texte et de changer les lettres de manière algorithmique (comme des permutations, des séquences, des altérations de lettres, etc.) Enfin, les étudiant·e·x·s ont développé une séries de scripts pour InDesign à l’aide des assistants.

L’ensemble du processus a consisté en une discussion et une négociation entre des pré-visualisations conceptuelles en environnement Adobe, des maquettes rapides au plomb, des expérimentations algorithmiques au laser et, enfin, en deux gestes purs et décisifs: une impression au plomb en noir plus profonde et intense, ainsi qu’une impression en jet d’encre en noir plus structurée et opaque.

L’exposition éphémère des impressions par diptyque dans une salle du bâtiment H de la HEAD a mis en évidence les détails d’impression à la surface du papier, les effets typiques de gaufrage dû à l’impression au plomb et les différences imperceptibles des noirs du jet d’encre. Les recherches de ces deux semaines de workshop ont été éditées dans un double ouvrage éditorial, le premier portant sur les recherches des poésies analysés et le deuxième se présentant comme un « compendium » des expérimentations et recherches faites.

Dans un monde en accélération digitale, la prise de connaissance et la sensibilisation au creative coding deviennent fondamentales pour l’évolution du métier de typographe. Les scripts développés pourraient aussi se décliner en animation ou en image augmentée. Plutôt que la relation antagoniste attendue entre approche moderniste lente, avec ses phases de conceptualisation, d’esquisse et d’exécution de matrice et approche technologique avec son pouvoir de multiplication et de variation quasiment infini, le workshop a mis en évidence une complémentarité. Le titre du workshop a d’ailleurs évolué durant le processus en épousant cette perspective: de « Gutenberg vs. Turing », il s’est transformé en « Joannes & Alan », témoignant au passage de la complicité que les étudiant·e·x·s ont développée avec ces techniques. Ces expériences ont aussi démontré que l’acte d’imprimer devient lui-même un acte de design lorsqu’il s’affranchit de sa nature purement technique pour ouvrir des nouvelles portes à la création.

Crédit photos: Baptiste Coulon / HEAD – Genève

Notes

  1. Définition de Reinhard Döhl sur Wikipedia